- BOTANISTE JEAN-MARC GIL TOUT SUR LA BOTANIQUE
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CLASSIFICATION SCIENTIFIQUE DES ESPECES
Dans les sciences du vivant, la classification scientifique des espèces (que l’on peut donc aussi appeler « classification biologique ») correspond autant à la systématique, qui est la méthode ou ensemble de méthodes pour classer le vivant, qu'à la taxinomie, qui est la classification elle-même, résultante de l'application de la méthode. Les méthodes de la classification dite classique ou traditionnelle ont été dominantes jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle, marquée par l'apparition, en 1950, de la systématique phylogénétique ou cladisme.
Les termes concernés par les différentes classifications ne bénéficient pourtant pas d'une définition unanimement admise, chaque ouvrage scientifique, chaque dictionnaire et, pour ainsi dire, chaque auteur ayant la sienne. Comme écrivait Small (1989) : « L'ironie est de constater que les spécialistes en classification biologique n'ont pas réussi à se doter d'une claire systématique et d'une claire nomenclature à l'intérieur de leur propre champ d'activité et de ses composants […]. »
De la diversité des classifications
C'est par l'observation des organismes vivants et par leur comparaison qu’ Homo sapiens a défini des taxons élémentaires correspondant souvent au genre et à l'espèce, eux-mêmes classés dans un système.
Liée à une culture, à un état d'avancement des connaissances, toute classification évolue avec les sociétés elles-mêmes. En outre le découpage conceptuel varie avec chaque langue (y compris les langues de métier), chaque civilisation ou spécialité ayant tendance à surestimer l'objectivité de sa pensée classificatrice.
Alors que la société traditionnelle se modifie peu, ou ne le fait que très lentement, c'est l'inverse pour les sociétés dites scientifiques, beaucoup plus changeantes et, par ailleurs, indépendantes les unes des autres, ce qui explique la multiplicité de classifications.
Classification populaire
Première en date, la parataxonomie remonte aux chasseurs-cueilleurs du Paléolithique.
C'est la classification populaire qui « primitivement » (et vernaculairement) a permis de distinguer les genres et les espèces. Elle conserve encore, de nos jours, son importance. Fondée sur des critères simples : l'apparence, les mœurs supposées, les cris, etc., elle ne s'embarrasse guère de données scientifiques. Devant l'inconnu, elle procède par extension ou assimilation : par exemple, la souris → la chauve-souris → le kiwi (couvert de poils, le kiwi était pour les Chinois assimilable à une souris végétale…). Toutefois, le mécanisme universel de l'assimilation et fondé sur une étape de l'observation se retrouve aussi dans la formation des noms scientifiques. La science des hommes n'étant, après tout, « qu'une suite d'erreurs… rectifiées » (Georges Becker).
Elle distingue de même les hiboux des chouettes, les crapauds des grenouilles, les rats des souris, etc., toutes espèces apparentées qui, dans l'esprit de certains, sont censées être maris et femmes. Ainsi le hibou serait le mâle de la chouette, le crapaud celui de la grenouille, le corbeau celui de la corneille, etc. Bien sûr, cela varie selon les langues et n’a, par exemple, aucun sens en anglais (dans Tom et Jerry, bien que ce soit une souris, Jerry est un mâle, comme le confirment de nombreux épisodes).
Les classifications populaires des plantes « ont une fonction opératoire en rapport avec des nécessités d'ordre cognitif (mise en ordre, mémorisation, repérage), mais aussi avec le rôle imparti à chaque plante dans les pratiques techniques et symboliques ».
Classification « primitive »
La vision ethnocentrique qui préjuge d'une supériorité de l'homme moderne sur le primitif est invalidée par de très nombreux travaux comparatifs en anthropologie moderne.
Ces études montrent en effet que, dans tous les cas où l'homme prétendu « primitif » ou sauvage (pour son économie de subsistance) est resté intégré à son milieu, son sens aigu d'observation et sa pleine conscience des rapports entre la vie animale et végétale, qui ne laissent pas d'étonner les scientifiques, constitue une science considérable.
Ainsi, d'après Claude Lévi-Strauss, les indiens Navajos distinguent plus de 500 plantes, les Hanunóo des îles Philippines classent les oiseaux en 75 catégories et divisent leur flore locale, au plus bas niveau, en plus de 1 800 taxons, alors que les botanistes distinguent pour la même flore moins de 1 300 espèces, d'un point de vue scientifique moderne.
Par exemple, dans une population « arriérée » des îles Ry?ky?, le botaniste A.H. Smith rapporte que « même un enfant peut souvent identifier l'espèce d'un arbre d'après un menu fragment de bois et, qui plus est, le sexe de cet arbre selon les idées qu'entretiennent les indigènes sur le sexe des végétaux ; et cela en observant l'apparence du bois et de l'écorce, l'odeur, la dureté et d'autres caractères du même ordre ». Les observations de ce type abondent.
L'enseignement qu'on en retire est un rappel de l'évidence : quand on a la prétention de classer scientifiquement l'univers, il importe de recueillir de la façon la plus large possible, l'héritage de tous les classificateurs, qu'ils soient passés ou présents ou quel que soit leur niveau d'éducation.
Classification traditionnelle ou classique
Classification classique |
Continuellement enrichie depuis sa création princeps, la classification traditionnelle (ou classique) des espèces, actuellement obsolète mais encore défendue par quelques auteurs, est issue de celle de Linné. Elle reste importante dans la mesure où elle est présente dans de nombreux ouvrages et est utilisée dans la gestion de collections. Linné commença par diviser les êtres naturels en trois règnes, un pour le monde minéral et deux autres pour le monde vivant, les règnes végétal et animal. Le nombre de règnes eut tendance ensuite à s'accroître au fur et à mesure que les systématiciens prenaient conscience de la complexité du monde vivant. On ajouta ainsi le règne fungi (les champignons) et plus tard les règnes protiste (eucaryotes unicellulaires) et monère (procaryotes unicellulaires). Actuellement, la classification traditionnelle est telle que six règnes divisent le monde vivant :
L'espèce est l'unité de base de la hiérarchie du vivant.
- les bactéries (procaryotes unicellulaires dépourvus de noyau) ;
- les archées (procaryotes unicellulaires dépourvus de noyau souvent extrêmophile)
- les protistes (eucaryotes unicellulaires) ;
- les champignons (eucaryotes multicellulaires hétérotrophes qui décomposent) ;
- les végétaux (eucaryotes multicellulaires, réalisant la photosynthèse) ;
- les animaux (eucaryotes multicellulaires hétérotrophes qui ingèrent des composés carbonés - animaux, végétaux).
La classification traditionnelle est fondée sur des caractères multiples (biologiques, phénotypiques, physiologiques). Dans de nombreux cas, le critère est la présence d'un caractère, s'opposant à son absence, considérée comme primitive (par exemple vertébrés et invertébrés). Mais les taxons définis par l'absence d'un caractère se sont révélés, à l'usage, très fragiles et les méthodes modernes de classification (phylogénétique, cladistique, phénétique ou évolutive, entre autres) ont tendance à les invalider. Le classement des taxons doit répondre à une hiérarchisation des caractères (principe de la subordination des caractères établi par Jussieu).
La classification traditionnelle repose sur une hiérarchie fixe de catégories (les rangs de taxon), définie de la façon suivante :
(vivant) → règne → embranchement → classe → ordre → famille → genre → espèce
À titre d'exemple, pour l'espèce humaine (Homo sapiens) :
(vivant) → règne animal → embranchement des vertébrés → classe des mammifères → ordre des primates → famille des hominidés → genre Homo → espèce Homo sapiens.
Un moyen mnémotechnique connu permettant de retenir cette classification est le suivant : « Reste En Classe Ou Fais Grandes Études ». La première lettre de chacun des mots permet de retrouver respectivement :
- reste → règne ;
- en → embranchement ;
- classe → classe ;
- ou → ordre ;
- fais → famille ;
- grandes → genre ;
- études → espèce.
La classification classique évolue en tenant compte des avancées en classification systématique phylogénétique (voir ci-dessous). Le terme embranchement est remplacé maintenant par division ou phylum, et la classification admet au-dessus de ce niveau des sous-règnes, (ainsi que des super-divisions et sous-divisions en dessous). Au-dessus du règne, on parle maintenant d'empire (bien que souvent non présenté dans les arbres phénétiques car implicite et largement documenté par ailleurs) :
(vivant) → (empire →) règne (→ sous-règne) → division → classe → ordre → famille → genre → espèce.
Classification phylogénétique
Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la classification traditionnelle s'est vue de plus en plus remplacée par la classification phylogénétique, qui est uniquement fondée sur le modèle évolutif et la notion d'ascendance commune (ou phylogénie). Les taxons sont désormais obtenus par sa méthode, la méthode cladistique. Cette nouvelle classification ne valide que des groupes monophylétiques (ceux qui incluent un ancêtre et tous ses descendants) et permet de mieux visualiser les embranchements du vivant constitués par différenciations successives au cours du temps.
La hiérarchie fixe de catégories (les rangs taxinomiques : espèce, genre, famille, etc.) est abandonnée au profit d'un système de taxons emboîtés les uns dans les autres, système exprimé par le biais de cladogrammes. Chaque taxon devient ainsi une ramification de taxons subordonnés entre eux, un clade.
La classification traditionnelle en cinq règnes de Whittaker (1969) a été ramenée à trois domaines, les premiers de la classification de l'ensemble du vivant :
- les eubactéries sont des organismes unicellulaires à structure procaryote (leur matériel génétique n'est pas enfermé dans un noyau). Ils possèdent une paroi cellulaire constituée de peptidoglycane ;
- les archées sont des organismes unicellulaires à structure procaryote. Ils possèdent une paroi cellulaire constituée de lipides spécifiques. D'un point de vue écologique, ce sont souvent (mais pas toujours) des extrêmophiles ;
- les eucaryotes peuvent être unicellulaires ou multicellulaires. Leur matériel génétique est enfermé dans un noyau délimité par une enveloppe ; ils peuvent posséder des mitochondries mais certains unicellulaires n'en possèdent pas ; la multiplication cellulaire a lieu par mitose ; l'ADN est divisé en chromosomes et ils présentent une reproduction qui peut être de type sexuée ou asexuée selon les organismes ou même une alternance des deux types de reproduction pour certains métazoaires comme les abeilles.
Savoir lesquels de ces trois groupes partagent un ancêtre commun qui les distingue du troisième est un sujet de recherche, comme le sont d'ailleurs tous les taxons non divisés en deux autres taxons (les « arbres non enracinés »). Certains chercheurs ont déjà proposé leur propre cladogramme, faisant de deux de ces trois clades les deux premiers de leur classification globale du vivant.
Les premiers travaux de la classification phylogénétique ont d'abord consisté à corriger les taxons de la classification traditionnelle mais en l'état actuel des choses les chercheurs travaillent uniquement sur la construction de cladogrammes, en ayant abandonné les arbres généalogiques et les rangs taxinomiques de l'ancienne classification et en la rendant par là même obsolète. La classification traditionnelle ne survit que dans certains manuels scolaires non actualisés ou chez une minorité d'auteurs qui cherchent encore à la faire appliquer, en attribuant aux anciens rangs taxinomiques (ou même en créant de nouveaux) les nouveaux taxons obtenus par la méthode de la classification phylogénétique.
Classification évolutionniste
Les principes et les méthodes de la systématique dite « traditionnelle » ont continué à se moderniser en parallèle de la concurrence du cladisme. Elle prône la reconnaissance formelle des grades évolutifs dans la classification et critique l'holophylie obligatoire des taxons sur laquelle insistent les cladistes. S'appropriant pleinement la mathématisation et l'informatisation de la systématique qui a fait suite à l'introduction de la cladistique et des ordinateurs, voire les raisonnements bayésiens d'une épistémologie renouvelée, certains la distinguent clairement de la systématique classique du début du XXe siècle en parlant de systématique post-phylogénétique.
Présentation formelle
La langue utilisée par les scientifiques pour décrire (diagnose originale) et nommer les espèces vivantes est le latin. Une espèce est désignée par un nom binominal ou binom, combinant un nom de genre commençant par une majuscule suivi d'une épithète spécifique (entièrement en minuscules) et, autant que possible suivie de la citation abrégée du nom de l'auteur (en botanique) ou en entier (en zoologie) qui a le premier décrit l'espèce sous ce nom; le nom complet est en italique. Donnons un exemple pour chaque règne :
- Homo sapiens Linnaeus, 1758 ;
- Escherichia coli Escherich, 1885 ;
- Amanita phalloides (Vaill., ex Fr.) Link, 1833 ;
- Mus musculus Linnaeus, 1758 ;
- Pulsatilla vulgaris Mill., 1754.
Traditionnellement, et jusqu'à la fin du siècle dernier, les principales langues scientifiques étaient, à égalité : l'allemand, l'anglais, l'espagnol, le français et l'italien (les codes de nomenclatures, par exemple, étant simultanément édités en cinq langues officielles). Mais de nos jours, dans les publications et communications, l'anglais se positionne de plus en plus en concurrence avec le latin et le supplante même parfois.
Suffixes indiquant le rang taxinomique
La nomenclature de la classification classique a établi une terminologie codifiée qui permet, au vu de la seule terminaison (ou suffixe) d'un taxon quelconque, de savoir quel est son rang taxinomique dans la hiérarchie systématique. L'utilisation de rangs, comme ceux illustrés sur le tableau ci-dessous, ne survit que chez les quelques systématiciens qui expriment leur volonté d'adapter les taxons obtenus par analyse cladistique à l'ancien système linnéen de la classification classique.
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-phyta |
-mycota |
... |
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... |
-phytina |
-mycotina |
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-opsida |
-phyceae |
-mycetes |
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-idae |
-phycidae |
-mycetidae |
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-anae[réf. nécessaire] |
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... |
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-ales |
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-ineae |
... |
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... |
-aria[réf. nécessaire] |
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... |
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... |
-acea |
... |
-oidea |
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-aceae |
-idae |
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-oideae |
-inae |
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-eae |
-eae, ae |
-ini |
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-inae |
-ina |
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-us, -a, -um, -is, -os, -ina, -ium, -ides, -ella, -ula, -aster, -cola, -ensis, -oides, -opsis… |
Au-dessous du rang de genre, tous les noms de taxons sont appelés combinaisons. Bien qu'elles ne figurent pas dans ce tableau, la plupart reçoivent également une terminaison latine plus ou moins codifiée selon les disciplines. On distingue plusieurs catégories de combinaisons :
- entre genre et espèce (sous-genre, section, sous-section, série, sous-série, etc.), les combinaisons sont infragénériques et binominales : nom de genre, puis après indication du rang, une épithète infragénérique, par exemple le cèpe appartient à la section « Boletus sect. Edules » ;
- au rang d'espèce, les combinaisons sont spécifiques et binominales ;
- au-dessous de l'espèce les combinaisons sont infraspécifiques et trinominales.
Les terminaisons de ces épithètes suivent les mêmes règles de syntaxe latine et d'exception que les épithètes spécifiques.
Pour les détails, chaque discipline biologique ayant des règles nomenclaturales sensiblement différentes, voir les articles suivants :
- « Rang (bactérien) » ;
- « Rang (botanique) » ;
- « Rang (zoologique) ».
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